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[Blog] Le grand perdant de la cassure : le peuple admirable

Par Santosh Neerohoo – Consultant en Gouvernance, Gestion des Risques et Audit Interne
Citoyen engagé pour l’avenir d’une île Maurice possible et durable  

Novembre 2025

Analyse d’une crise 
politique aux conséquences profondes

À l’heure où l’Alliance du Changement traverse sa crise la plus sérieuse depuis son arrivée au pouvoir, le risque n’est pas seulement politique : il est national. Au-delà des tensions internes, c’est une majorité historique qui vacille, et avec elle les attentes immenses d’un peuple qui avait voté pour la rupture.

Le peuple admirable : un mandat de rupture, pas un chèque en blanc

En novembre 2024, l’Alliance du Changement a obtenu l’un des mandats les plus puissants de l’histoire politique mauricienne  avec un 60-0 historique.

Un tel résultat n’était pas un chèque en blanc, mais un message clair : rompre avec les dérives du passé, restaurer l’éthique publique et remettre le pays sur une trajectoire stable, prévisible et responsable.

Ce vote représentait davantage qu’un soutien : il incarnait une exigence morale, un contrat implicite entre peuple et dirigeants.

Les Mauriciens voulaient tourner la page des excès, des scandales, de la politisation des institutions et de l’instabilité décisionnelle. Ils espéraient un gouvernement capable de restaurer la confiance, d’assainir la gouvernance et d’accélérer la modernisation du pays.

Mais un an plus tard, ils assistent, désabusés, à une majorité qui s’enlise dans ses contradictions internes.

Les citoyens ne comprennent pas pourquoi un gouvernement doté d’un tel capital politique, d’une telle marge de manœuvre, finit piégé par ses propres luttes d’influence.
Ils ne voient plus une équipe unie, mais une formation politique qui semble se disputer plus qu’elle ne gouverne, tandis que le coût de la vie reste élevé, que la sécurité demeure une préoccupation et que les attentes économiques restent en suspens.

Un programme ambitieux suspendu en plein vol
Le programme de l’Alliance était clair, structuré, et porteur d’une promesse de renouveau :

· Relancer le pouvoir d’achat dans un contexte inflationniste mondial.
· Réformer le système électoral et renforcer la transparence publique.
· Moderniser l’État, digitaliser les services, revaloriser la fonction publique.
· Assainir la gouvernance des institutions publiques, longtemps critiquées pour leur vulnérabilité à l’influence politique.
· Rétablir une stabilité macroéconomique après des années de chocs externes et internes.

Mais cette dynamique, pourtant attendue, s’est progressivement essoufflée.

À mesure que les tensions internes se multipliaient, l’action publique s’est fragmentée, les réformes se sont ralenties et certaines priorités ont disparu de l’agenda politique.

Les Mauriciens voient désormais un gouvernement plus occupé à gérer ses partenaires qu’à transformer le pays.
La rupture promise s’est transformée en immobilisme tactique.

Le renouvèlement du contrat du CP : révélateur, pas cause

La reconduction du Commissaire de Police, acte en apparence administratif, a été l’étincelle qui a mis en lumière un malaise plus profond.

· Décision perçue comme unilatérale.
· Absence de concertation au sein de la coalition.
· Communication gouvernementale incohérente.
· Réactions publiques immédiates du VPM.
Ce dossier n’a pas créé la crise.
Il l’a mise en lumière, exposant un dysfonctionnement qui existait depuis des mois : l’absence de mécanisme institutionnalisé de décision collective.

Les Mauriciens ne voient pas un débat technique :
ils voient un gouvernement absorbé par ses propres tensions pendant que les urgences nationales — pouvoir d’achat, sécurité, logement, transports, santé — restent pressantes.

PM – VPM : le duo devenu duel

Ce qui devait être une complémentarité politique unique est devenu un duel d’influence stratégique.
· Le Premier ministre incarne la prudence, la continuité institutionnelle, la gestion maîtrisée.
· Le Vice-Premier ministre incarne la combativité, la parole sans filtre, la remise en question radicale.

Au fil des mois, ces différences se sont transformées en frictions publiques, puis en divergences ouvertement assumées.

Le pays s’interroge :
Le VPM a-t-il un agenda caché ?

Ou estime-t-il que certaines vérités doivent être révélées pour “sauver” l’esprit de la rupture ?

Ses interventions médiatiques, souvent plus directes, laissent entendre une volonté de clarification, voire un repositionnement stratégique avant 2027.

Quoi qu’il en soit, le duo fondateur n’existe plus.
Le gouvernement fonctionne désormais comme une cohabitation interne, où chaque mot est pesé, chaque décision surveillée, chaque geste interprété.

Un fonctionnement de coalition fragilisé
L’Alliance du Changement est une coalition quadripartite (PTr, MMM, ND, ReA).

Pour fonctionner, une coalition a besoin :
· d’un cadre formel de réunion et de décision ;
· d’un agenda partagé ;
· d’un mécanisme d’arbitrage des désaccords ;
· d’accords politiques écrits et respectés.

Or rien de tout cela ne semble exister.
La gestion du pouvoir s’est faite au cas par cas, en fonction des équilibres internes, des urgences et des sensibilités.

La meilleure preuve vient de Rezistans ek Alternativ, dont la lettre adressée aux trois leaders — Ramgoolam, Bérenger et Duval — demande explicitement une réunion d’urgence.

Lorsqu’un partenaire minoritaire doit rappeler l’existence même d’une coalition, c’est que la gouvernance collective est défaillante.

La coalition fonctionne en réalité comme quatre îlots politiques, parfois convergents, parfois contradictoires, rarement alignés.

Enjeux immédiats et risques

La situation actuelle expose le pays à des risques multiples.

Politiques

Sortie éventuelle du MMM, recomposition parlementaire, instabilité dans l’agenda législatif, négociations permanentes.

Institutionnels

Ralentissement, édulcoration ou instrumentalisation des réformes essentielles :
· réforme électorale,
· nominations publiques,
· gouvernance des SOEs,
· transparence financière.
·  

Démocratiques

Le risque majeur : l’érosion de la confiance citoyenne.
La population ne se demande plus “qui a raison ?”, mais :
« Où est passée la rupture promise ? »

La fatigue démocratique s’installe :
désenchantement, cynisme, hausse de l’abstention.

Conclusion : Le peuple admirable ne peut plus être la variable d’ajustement du pouvoir

Le peuple n’a pas voté pour devenir le spectateur impuissant de tensions internes.

Il a voté pour la rupture, la cohérence, la responsabilité et l’espoir.
Aujourd’hui, c’est lui qui paie le prix d’un mandat fragilisé :
réformes retardées, institutions affaiblies, confiance fissurée.
Il est encore temps de redresser la barre — mais cela exige un geste rare : le retour au bon sens.

Le bon sens d’admettre que ce mandat exceptionnel appartient au pays, pas aux appareils.

Le bon sens de comprendre que la division dessert tout le monde.

Le bon sens de réaliser qu’un peuple qui a donné 60–0 mérite un leadership à la hauteur.

L’Histoire retiendra ceux qui auront su dépasser leur orgueil pour sauver un mandat national.

Elle retiendra aussi ceux qui auront laissé se dissiper un capital politique unique par incapacité à s’unir.
Le peuple admirable a fait sa part.

Il est temps que ses dirigeants fassent la leur.

© Santosh Neerohoo – Novembre 2025

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