Live News

#Women4Local : la mode mauricienne passe à la contre-attaque

#Women4Local, une initiative de My Pop-Up Store. Amandine Hardowar de Rosnay, Head of Sustainability and Inclusive Growth à Business Mauritius. Aurélie Lefevre, Associate Director à Coquille Bonheur. Stéphanie Ithier, Chief Marketing Officer à Azuri. Photos : Karen Pang et My Pop Up Store

Dans une île qui importe 75 % de ce qu’elle consomme, comment la fast fashion met-elle en péril toute une économie locale ? L’initiative #Women4Local, portée par cinq femmes influentes, montre qu’une autre voie est possible. Décryptage d’une résistance insulaire.

Le paradoxe est saisissant : à Maurice, les autoroutes se couvrent de panneaux vantant le « Made in Moris » tandis que les clics des consommateurs enrichissent les plateformes de fast fashion chinoises ou américaines. Face à cette schizophrénie commerciale, cinq femmes ont décidé de passer à l’offensive. Leur arme ? La photographie, la mode locale et un hashtag : #Women4Local.

L’initiative, portée par My Pop-Up Store – premier point de vente mauricien entièrement dédié aux créateurs locaux –, pourrait ressembler à une énième opération de communication. Mais derrière les images soignées de Karen Pang, photographe au regard affûté sur la mode, se dessine une interrogation plus profonde : comment permettre à la création mauricienne de survivre quand l’ultra fast fashion livre en quelques clics des vêtements à prix cassés ?

« Derrière chaque produit local acheté, il y a moins de devises qui quittent le pays, plus de valeur ajoutée qui reste dans l’économie et une empreinte carbone réduite. Et surtout, il y a une dynamique culturelle pour soutenir un savoir-faire, encourager l’innovation artisanale et affirmer notre identité insulaire et unique à Maurice », martèle Amandine Hardowar de Rosnay, Head of Sustainability and Inclusive Growth à Business Mauritius, l’une des cinq égéries de la campagne, aux côtés d’Aurélie Lefèvre, co-directrice de Coquille Bonheur, Stéphanie Ithier, Chief Marketing Officer à Azuri, Anne-Lise Seret, spécialiste indépendante en communication, et Elizabeth de Marcy Chelin-Chabert, fondatrice de My Pop-Up Store.

Les cinq femmes portent des créations de quatorze marques locales : Saskia, Lupina, Véronique de Guardia, Clairmodel, Bab and the Queen, Morgane Lamport, Aula Handmade, Katyz, Toupie, Circumference, The Kreol Republic, Eder, Riverwalk et Sundae. Un écosystème créatif encore fragile, mais déterminé à résister à l’uniformisation mondiale.

Petites îles vulnérables

Le chiffre donne le vertige : Maurice importe près de 75 % de ce qu’elle consomme. Cette dépendance rend l’île particulièrement vulnérable. « Favoriser l’achat local, c’est diversifier et sécuriser nos chaînes d’approvisionnement tout en créant de l’emploi et en réduisant la dépendance au transport maritime qui représente une part importante de nos émissions », explique Amandine Hardowar de Rosnay. La crise du COVID-19, avec ses ruptures logistiques et sa flambée des coûts d’importation, a cruellement rappelé cette fragilité.

Mais au-delà des arguments économiques et environnementaux, c’est un choix culturel qui se joue. Stéphanie Ithier le formule sans détour : « Chaque produit porte la main d’un artisan, une technique, une histoire. En privilégiant les circuits courts, nous réduisons les intermédiaires, l’empreinte carbone et le gaspillage tout en nourrissant une économie circulaire où la valeur reste et circule sur le territoire, notamment emplois, réemploi et réparation. » C’est, résume-t-elle, « investir dans une qualité ancrée, résiliente et transmissible. C’est un geste concret qui fait durer la culture du Made in Mauritius ».

Cette dimension culturelle trouve un écho inattendu dans le secteur touristique. Coquille Bonheur, tour-opérateur écoresponsable, a intégré dans chacun de ses circuits la rencontre avec un artisan local, explique Aurélie Lefèvre. Partager un repas chez l’habitant, s’initier à la poterie, découvrir à Mahébourg le savoir-faire d’une dame qui tresse des paniers : « Ces moments de vie sont souvent liés à des lieux historiques, ce qui enrichit encore l’expérience. Donc, le visiteur ne découvre pas seulement un site, il en vit l’histoire à travers ceux qui la perpétuent au quotidien. »

Lorsque ces visiteurs achètent directement auprès des artisans, « ils ne rapportent pas seulement un souvenir authentique, ils contribuent à un revenu équitable et durable qui reste dans la communauté, renforçant ainsi à la fois l’économie locale et la préservation culturelle ». Le touriste devient ainsi, sans nécessairement le savoir, un acteur de la résistance économique locale.

Rendre visible l’invisible

Reste un obstacle de taille : comment convaincre le consommateur mauricien que ce T-shirt fabriqué localement vaut la peine face à l’alternative importée bon marché ? « Beaucoup de personnes ignorent qui produit, comment et pourquoi c’est différent. De ce fait, il faut rendre la valeur visible », analyse Stéphanie Ithier. 

L’accessibilité pose également problème, souvent limitée à un ou deux points de vente, ce qui peut « se corriger en multipliant les occasions de contact à travers des ‘corners’ en magasin, pop-ups régionaux, marchés thématiques ou en déployant un ‘Click & Collect’ simple mais efficace chez des partenaires relais ».

Puis vient la question du prix. Non, acheter local ne revient pas nécessairement moins cher, assume Stéphanie Ithier. « Les petites productions artisanales, où le soin apporté et les méthodes employées sont plus exigeants que dans l’industrialisation, peuvent au contraire coûter davantage. Cependant, il faut rester focalisé sur la qualité et l’affinement des produits qui ne sont pas tous similaires. »

C’est précisément là qu’Amandine Hardowar de Rosnay place le curseur de la bataille : rendre les coûts cachés de l’ultra fast fashion – pollution, déchets, précarité sociale – visibles, tout en offrant des alternatives accessibles et inclusives comme des produits locaux à prix justes ou des systèmes de seconde main. « Le choix du consommateur compte, mais il doit être facilité par des politiques publiques, par exemple des incitations fiscales et par un engagement clair des entreprises notamment la transparence et les prix équitables », insiste-t-elle.

Les femmes au front

Pourquoi des femmes ? Parce qu’elles sont, selon Stéphanie Ithier, « des actrices majeures de la consommation » avec « le pouvoir d’influencer positivement notre entourage ». L’initiative #Women4Local milite pour qu’elles deviennent les porte-parole du Made in Mauritius. 

« C’est un acte de solidarité et de militantisme. [...] Imaginez la force de toutes ces figures économiquement actives qui militent pour l’achat local et la puissance de ce message à travers leurs réseaux et leur influence. La portée (‘Reach’) est à la fois forte et stratégique », argumente-t-elle.

Aurélie Lefèvre prolonge cette réflexion : « C’est par la somme de ces gestes individuels que nous parvenons à transformer nos habitudes collectives et à instaurer, pas à pas, une véritable culture du changement durable. » Chaque produit local acheté devient « un signal fort » qui affirme la volonté « d’une économie plus humaine, plus résiliente et plus respectueuse de la planète ».

Cette mobilisation féminine s’accompagne d’une stratégie marketing précise. Stéphanie Ithier prône « un dispositif d’ambassadeurs intergénérationnels » où « chacun porte le même message, sur la qualité, les circuits courts et l’économie circulaire, mais chacun dans ses codes : créateurs digitaux, chefs/entrepreneurs et figures incontournables locales ». 

En parallèle, le regroupement des marques locales doit se traduire par des roadshows, des corners partagés en retail et une mutualisation des moyens. Des partenariats médias sont impératifs pour « offrir de la visibilité aux marques locales malgré des budgets limités », car « leur rayonnement est une condition pour rester ‘Top of mind’ et s’ancrer dans les mœurs ».

Engagement stratégique

Au-delà de la communication, Amandine Hardowar de Rosnay appelle à une transformation en profondeur du modèle économique mauricien. La durabilité « doit être une décision stratégique au plus haut niveau. Les conseils d’administration et les directions doivent inclure la durabilité dans leurs mandats et chartes de gouvernance, fixer des indicateurs de performance (KPIs) ESG aux côtés des indicateurs financiers, encourager l'écoconception, la production locale et la circularité. Ils doivent aussi développer des partenariats public-privé pour mutualiser investissements et infrastructures. Ils doivent former des dirigeants et collaborateurs à la gestion des risques climatiques et sociaux ».

Dans un contexte où l'espace budgétaire est limité et où, au niveau international, certaines ambitions environnementales semblent fragilisées, ces initiatives « montrent que même dans un environnement contraint, il existe une énergie créative et une capacité d'action collective », estime-t-elle. L’engagement des femmes devient ainsi « un levier puissant pour inscrire l’achat local et la durabilité au cœur de notre culture économique ».

L’initiative #Women4Local place « l’humain, l’équité et la durabilité au cœur de son action », résume Aurélie Lefèvre. Les bénéfices générés restent dans la communauté, créant un cercle vertueux. Ce modèle pourrait transformer Maurice en laboratoire de résistance face à la mondialisation standardisée.

Elizabeth de Marcy Chelin Chabert – Directrice de My Pop-Up Store : «Choisir le local, c’est faire le choix du sens»

elizabeth
Elizabeth de Marcy Chelin Chabert (au centre).

Qu’est-ce qui vous a motivée à lancer la campagne #Women4Local ? 
C’est l’envie d’incarner toute la richesse du Made in Mauritius : sa beauté, sa singularité, sa fierté. Un « Made in Mauritius » porté par des Mauriciennes fortes, capables, audacieuses et inspirantes. Lionne, battante et amazone, la femme porte, berce, élève et rassemble. Elle fait preuve de résilience et de patience. Elle s’adapte et relève les défis. 

Cette campagne est portée par des femmes déterminées, des Mauriciennes inspirantes par leur métier et leur parcours. Avec elles, nous affirmons haut et fort que le local est beau, qualitatif, responsable et incontournable si nous voulons bâtir une île Maurice solide, fière et durable sur les plans culturel, économique et environnemental.

En quoi cette campagne est-elle importante ? 
Cette campagne est essentielle car nous croyons en la puissance des voix qui s’unissent autour d’une cause commune : faire rayonner le savoir-faire mauricien tant sur le plan local qu’international. La prise de conscience passe par des modèles inspirants et les visages de notre campagne incarnent des valeurs fortes et fédératrices autour de sujets qui comptent… 

Il s’agit ici de promouvoir l’achat local comme un réflexe naturel face à une offre souvent abondante mais de qualité discutable. Choisir le local, c’est faire le choix du sens, de la qualité et de la responsabilité.

Quel message souhaitez-vous transmettre ?
« Local is not a slogan. It’s a movement »… Acheter local, c’est poser un geste écoresponsable, mais aussi un acte de fierté et de reconnaissance envers notre savoir-faire mauricien. À travers la campagne #Women4Local, nous réunissons des femmes fortes qui incarnent la richesse de la diversité mauricienne et partagent des convictions profondes, où les valeurs du local sont au cœur de leur mode de vie. Leurs voix s’unissent pour porter haut notre cause.

Comment sélectionnez-vous les marques et créateurs pour garantir une vraie valeur locale ? 
La sélection des marques que nous représentons repose sur des critères d’originalité, de cohérence et de constance. Nous prenons le temps de visiter les ateliers, de rencontrer les créateurs et de comprendre leur univers en veillant à ce que leurs pratiques respectent la dignité humaine. 
Les marques avec lesquelles nous collaborons portent des valeurs humaines fortes et une identité locale affirmée. Ce sont des marques engagées, fières de leur mauricianisme et qui contribuent activement à la richesse culturelle et économique de notre île.

Pourquoi est-il essentiel aujourd’hui de faire de l’achat local un acte conscient et engagé ?
Les slogans « Shop Lokal » ou « Lokal is Beautiful » ne suffisent plus aujourd’hui pour sensibiliser le public à l’urgence de consommer local. Il ne s’agit plus seulement d’un geste symbolique, « cool » ou tendance. Il est devenu essentiel de prioriser et d’encourager l’achat de produits locaux. À produit équivalent, choisir des produits mauriciens fabriqués sur notre territoire devient un acte responsable et patriotique.

Comment chacune de nos actions contribue-t-elle à ce changement de culture ?
Chez My Pop-Up Store, nous œuvrons chaque jour pour mettre en lumière le local, les marques et les gens. À travers nos campagnes et notre visibilité sur tous les médias, de LinkedIn à Instagram, nous rappelons que chaque geste compte et que chaque achat local est une affirmation de nos valeurs, un moyen concret de soutenir notre territoire, notre culture et nos créateurs. Petit à petit, ces choix individuels construisent un véritable mouvement collectif, capable de transformer notre manière de consommer et de vivre ensemble.

Quelle est votre vision à long terme pour My Pop Up Store et l’écosystème créatif mauricien ? 
Notre rêve ultime, c’est d’ouvrir une boutique à l’aéroport de Maurice comme un espace emblématique où l’on découvre le meilleur de notre savoir-faire et de notre design local, où chaque achat devient un souvenir unique et porteur de sens. Nous envisageons également une boutique dans le nord de l’île, pensée comme un concept store 360°, engagé et immersif ainsi qu’un point de vente à Rodrigues pour soutenir et valoriser les artisans et créateurs rodriguais qui occupent une place essentielle dans notre mission de promotion du local. 

Sur le plan institutionnel, nous aspirons à renforcer nos partenariats avec les acteurs clés tels que les institutions gouvernementales, la Chambre de commerce ainsi que les ministères de l’Économie et du Tourisme afin de bâtir un écosystème durable et structurant pour les marques locales. 
Et après ? Créer nos propres ateliers de transmission du savoir-faire artisanal et identifier les métiers qui méritent d’être valorisés, transmis et préservés pour que la richesse de notre artisanat perdure et inspire les générations futures.

Le mot de la fin ? 
Notre mission est de reconnaître, valoriser, accompagner et promouvoir les créateurs, artisans et marques locales mauriciennes, véritables détenteurs d’un savoir-faire unique. Nous aspirons à ce que la jeunesse retrouve confiance dans les métiers de l’artisanat et croie en la force de l’entrepreneuriat créatif. Notre objectif est de bâtir une plateforme de confiance, un écosystème ambitieux, respectueux et engagé au service de notre culture et de notre économie mauricienne.

Notre service WhatsApp. Vous êtes témoins d`un événement d`actualité ou d`une scène insolite? Envoyez-nous vos photos ou vidéos sur le 5 259 82 00 !