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Lutte contre le blanchiment d’argent : un comité interministériel relancé alors que l’affaire Ravatomanga inquiète

Shahannah Abdoolakhan, CEO d’Abler Group. Mahen Seeruttun, ancien ministre des Services financiers.

Face à l’évaluation internationale prévue en 2027, Maurice relance sa coordination contre le blanchiment d’argent, alors que l’affaire Ravatomanga expose des failles institutionnelles et ravive les interrogations sur l’intégrité du centre financier.

La lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme occupe de nouveau le devant de la scène à Maurice. Alors que les autorités s’organisent en vue de la prochaine évaluation du Groupe de lutte contre le blanchiment d’argent en Afrique orientale et australe (ESAAMLG) prévue en 2027, l’affaire visant le magnat malgache, Maminiaina (Mamy) Ravatomanga, présent dans le pays, vient perturber une préparation jugée stratégique pour la crédibilité du centre financier mauricien.

Au cœur de cette mobilisation institutionnelle : la création d’un comité interministériel chargé de piloter les réformes et de coordonner les multiples acteurs concernés. Une structure relancée dans un contexte ponctué de tensions, de critiques et d’interrogations sur l’efficacité du dispositif national.

Le Cabinet a validé ce mois-ci la mise en place d’un comité interministériel dédié à la lutte contre le blanchiment d’argent, le financement du terrorisme et le financement de la prolifération (AML/CFT/CPF). L’instance est coprésidée par l’Attorney General et la ministre des Services financiers et de la planification économique. Sa mission est double : préparer le pays à la prochaine évaluation mutuelle de l’ESAAMLG et mettre en place une gouvernance cohérente entre les ministères, les régulateurs et les services répressifs. Cela implique, selon les autorités, la conception d’une stratégie unifiée, des orientations claires sur les réformes prioritaires et une coordination plus fluide entre les 16 institutions concernées.

La première réunion du comité s’est tenue le 13 novembre dernier. Les deux coprésidents ont insisté sur la nécessité de maintenir une dynamique de travail commune, après une période perçue comme dispersée.

Les priorités exposées lors de la réunion inaugurale

Lors de cette séance d’ouverture, Jyoti Jeetun a rappelé que l’enjeu central réside désormais dans la capacité de Maurice à démontrer l’efficacité réelle de son dispositif. « Ce comité interministériel marque une approche unifiée et globale du gouvernement visant à renforcer notre cadre national avant l’évaluation de 2027 », a-t-elle déclaré, en soulignant la nécessité d’une vigilance constante.

Gavin Glover a pour sa part mis en avant l’importance d’un engagement durable de toutes les parties prenantes. Il a averti que le pays ne peut se permettre d’être replacé sur la liste grise du Groupe d’action financière (GAFI), ce qui impliquerait des contraintes supplémentaires pour le secteur financier. Selon lui, chaque ministère et chaque régulateur doit assumer ses responsabilités afin de préserver la réputation de Maurice.

Le comité a également passé en revue l’état d’avancement de l’évaluation à mi-parcours de l’ESAAMLG, la stratégie nationale 2025-2026 ainsi que le rapport national d’évaluation des risques. Des faiblesses ont été identifiées, notamment dans la transmission des données, la cohérence interinstitutionnelle et la disponibilité de professionnels spécialisés dans l’AML/CFT.

La question de la capacité des institutions a été largement discutée. Plusieurs participants ont évoqué des difficultés persistantes liées au manque de ressources humaines qualifiées ou encore des problèmes de gouvernance interne. Le comité a appelé à préserver l’intégrité et la confidentialité des informations, en renforçant les contrôles et les sanctions en cas de fuite de données. Il a aussi convenu d’améliorer la collaboration entre les organes de surveillance et les forces de l’ordre pour combler les failles actuelles.

Dans les prochains mois, le comité interministériel devra fournir des orientations stratégiques au comité national, suivre les progrès des sous-comités dédiés aux résultats immédiats et lever les blocages politiques qui entravent le rythme des réformes.

Une structure jugée nécessaire

Pour Shahannah Abdoolakhan, CEO d’Abler Group, la création de ce comité apporte une lisibilité utile au secteur. Elle estime que la prochaine évaluation de 2027 sera plus exigeante que les précédentes, car l’accent sera mis sur la preuve concrète de l’efficacité des mécanismes en place.

Selon elle, cette plateforme de coordination est un moyen de renforcer l’harmonie entre les institutions et d’améliorer la qualité des informations présentées aux évaluateurs internationaux. Elle y voit une opportunité d’accélérer la mise en œuvre des réformes et de consolider la cohérence du discours national.

L’ancien ministre des Services financiers, Mahen Seeruttun, adopte une lecture plus critique. Il rappelle qu’un comité similaire existait auparavant et qu’il était présidé par le Premier ministre. Il interprète cette différence comme un signal de l’importance qui était alors accordée à la coordination nationale.

Selon lui, l’actuel gouvernement semble relancer une structure qui aurait dû fonctionner depuis un an. Il insiste sur l’urgence de réévaluer les normes internationales applicables en matière de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, appelant à une anticipation des changements opérés par les instances internationales.

Interrogé sur l’efficacité des 16 institutions impliquées dans la supervision et la régulation, il affirme que certaines d’entre elles traversent une période de fragilité. Il cite l’absence de présidents ou de conseils d’administration complets dans certains organismes, ainsi que des départs forcés ou des démissions ayant affecté la gouvernance. Pour Mahen Seeruttun, ces éléments affaiblissent la crédibilité du pays auprès de ses partenaires étrangers et compliquent la tâche lors des évaluations internationales.

Un opérateur du secteur souligne lui aussi que les institutions doivent éviter de fonctionner en silo. Selon lui, des tensions entre dirigeants d’institutions et ministres de tutelle empêchent parfois une coopération fluide, au détriment de la cohérence du dispositif global.

L’affaire Ravatomanga

C’est dans ce contexte déjà sensible que survient l’enquête visant Mamy Ravatomanga. L’affaire suscite commentaires et interrogations, plusieurs responsables politiques se prononçant publiquement alors même que les détails de l’enquête restent partiels. Mahen Seeruttun souligne que les nombreuses spéculations qui circulent créent un climat de doute. Il observe que des noms de responsables institutionnels et de personnalités politiques sont évoqués sans qu’une communication claire ne vienne éclairer le public ou les partenaires internationaux. Selon lui, cette situation risque de placer le centre financier de Maurice dans une posture défensive, au moment où le pays doit démontrer la solidité de son cadre prudentiel.

Une autre source, proche du secteur, estime que l’affaire est complexe et nécessite des clarifications rapides. Elle affirme que plusieurs questions subsistent quant au processus de due diligence qui aurait dû être mené lors de la création des entreprises liées à l’homme d’affaires malgache. Certains s’interrogent sur le rôle de la Registrar of Companies, sur l’ouverture éventuelle de comptes bancaires ou encore sur la capacité des banques à détecter des transactions inhabituelles.

La source évoque aussi le rôle des Money Laundering Reporting Officers (MLRO) au sein des banques et se demande si des alertes auraient dû être émises plus tôt. Pour elle, cette affaire aura probablement des répercussions sur la manière dont les institutions internationales perçoivent l’efficacité du système mauricien.

Elle rappelle enfin que Mamy Ravatomanga n’est pas un inconnu à Maurice et que sa présence dans l’île aurait dû entraîner une vigilance accrue de la part des institutions concernées. Selon elle, il sera difficile de démontrer que toutes les procédures ont été respectées, à moins qu’une communication complète ne soit rapidement fournie.

À l’approche de l’évaluation de 2027, Maurice se trouve donc à un moment charnière. L’installation du comité interministériel illustre la volonté des autorités de réaffirmer une coordination forte, mais les tensions internes et les zones d’ombre soulevées par l’affaire Ravatomanga viennent rappeler les défis persistants.

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