Le métier est un art qu’il ne faut pas laisser mourir. Il y a le symbole du passage du témoin. Pour cela, il faut qu’il y ait la relève. On a fouiné là où le flambeau est passé entre père, fils et petit-fils de cet atelier qui fabrique non sans peine des chaises, des tables et d’autres accessoires du style ancien en tubes, plywood et formica, ce depuis presque un demi-siècle. Rencontre avec le papa, qui a pris le relais de son père et qui le transmet aujourd’hui à son fils Raza. Just wow…
C’est l’histoire d’une modeste famille de dix enfants, dont le père, Abdul Hamid Peerbocus, décédé depuis une dizaine d’années, était le seul pourvoyeur financier. « À cette époque, la misère battait son plein et papa se donnait à fond pour faire rouler la cuisine et aussi élever douze bouches. Il a commencé en tant que laboureur au moulin, puis il s’est mis à acheter des poulets sur pattes que la plupart des Mauriciens nourrissaient dans leur cour. Il prenait aussi les oeufs et allait les vendre à Port-Louis », nous raconte son fils Mohammad Dowheed, un solide gaillard de 57 ans.
Puis, le patriarche décide de se mettre à son compte en se tournant vers un nouveau job, alors craze du moment : des chaises, petites et grandes tailles, et des tables en tubes avec du plywood : « À cette époque, tout le monde achetait ces chaises et ces tables, alors mon papa a décidé d’en acheter avec les fabricants et de les revendre. Il les transportait d’abord à vélo, puis à moto ».
Et tout commence à 14 ans
Mohammad Dowheed se souvient encore de sa décision, alors encore gamin : « J’étais en Form III et j’ai pris sur moi pour dire à mon père que je ne voulais plus continuer le college et que je suis plus intéressé à apprendre un métier. Il m’a alors répondu de faire le même métier que lui, soit de fabriquer des chaises et des tables ».
L’atelier avait déjà vu le jour et le petit Dowheed se met à l’ouvrage comme apprenti, car il ignorait tout de ce métier. Et les commandes étaient-elles assurées? « Mon papa avait le chic de vendre comme un professionnel du marketing. Pour assurer les clients, il jetait à terre chaises et tables pour démontrer leur solidité et que ce n’était pas de la camelote et les affaires marchaient bien », se souvient encore cet habitant de Brisée Verdière dans son grand atelier.
Entre-temps, le patriarche, avec ses économies, s’achète des portions de terre cultivable en cannes à sucre et plantait entre-lignes des légumes. « Je lui ai alors proposé que je reprenne l’atelier, car il était trop fatigué dans les champs et l’atelier et c’est ainsi que tout a commencé pour moi, car j’avais eu l’expérience du métier », dit notre interlocuteur.
C’est le papa qui prend un emprunt de Rs 50 000 avec comme garantie une portion de terrain des champs. Avec cette somme, il s’est acheté des équipements modernes et s’est mis à son compte et crée l’AHP Hamid Co Ltd en 2016. « À cette époque, une chaise se vendait à Rs 30 pour les grandes tailles et Rs 15 les petites. J’avais des commandes de professeurs qui donnaient des lecons chez eux, quelques-unes du gouvernement et je me débrouillais », dit-il.
Marié en 1993 à Bibi Sabina, 48 ans, le couple a trois enfants, deux filles et Raza qui prendrait la relève dans quelques années. Mohammad Dowheed, qui est aussi conseiller de village englobant Brisée Verdière, Mare d’Australia et Pont Bon Dieu. Il espère que son atelier le survivra à travers son fils, comme lui-même l’a fait en prenant le flambeau de son papa.
Main-d’œuvre : un vrai casse-tête
Si Dowheed dit que son business s’est bien installé, il y a un gros bémol toutefois : « J’avais quelques ouvriers, mais pas sérieux, ils s’absentaient, venaient en retard, il fallait tout le temps être présents, sinon ils ralentissaient le rythme du travail. Bref, un vrai casse-tête. Faire venir des travailleurs étrangers prend trop de temps, beaucoup de tracasseries administratives, mais une chose est sûre, cette main-d’oeuvre est viable, rentable même si on doit encourir des frais supplémentaires, le rendement est de loin meilleur. »
Les TPME mal loties
Pour Mohammad Dowheed, il existe une politique de deux poids deux mesures concernant le traitement des TPME (Très petites et moyennes entreprises) et les très grosses PME. Il s’explique : « Quand il y a des appels d’offres de la part du gouvernement ou des corps para-publics, ce sont presque toujours les grosses pointures qui raflent la mise et nous, on récolte des miettes et souvent rien du tout. »
Dowheed est davantage révolté par la façon de fonctionner des grosses PME : « Après que ces PME grosses pointures aient obtenu les contrats par millions de roupies, elles sous-contractent avec les TPME et nous sommes obligés d’accepter leurs offres, car il faut qu’on fasse rouler notre business. Finalement, les grosses PME font d’énormes profits sur notre tête, ce qui n’est pas normal. Il faut vivre et laisser vivre. »
La parole à…Bibi Sabina
Même si elle se fait toute petite, Bibi Sabina, l’épouse de Dowheed Peerbocus est aux petits soins pour sa fratrie. Elle avoue que sa priorité est sa famille, soit son époux et ses trois enfants. « Ils sont la prunelle de mes yeux. Je suis la femme, la maman, celle qui s’occupe de la maison, qui cuisine, qui s’occupe des enfants en veillant qu’ils travaillent bien à l’école… »
Ce qu’elle hésite à dire est ce petit secret : « Depuis que je me suis mariée, j’aide toujours mon mari dans l’atelier. Je ne suis pas une professionnelle, mais je fais comme je peux pour lui donner du courage, car il bosse très dur et, avec l’absence d’ouvriers, c’est difficile. » Elle fait un appel aux jeunes à s’intéresser aux métiers qui pourrait les aider dans la vie.
Quant à Raza, le jeune fils de 21 ans, il a tout plaqué pour se jeter dans un métier qui passe en 3e génération : « J’ai fait des études en Professional Sales et quand j’ai fait un stage en entreprise dans une compagnie spécialisée dans l’électroménager. Ils m’ont embauché après mon graduation. »
Pourquoi alors avoir tout plaqué pour prendre une autre direction professionnelle ? « Il y avait un manque de main-d’œuvre dans l’atelier de mon papa et j’ai décidé de me joindre à lui et d’apprendre petit à petit le métier. Et cela dure depuis plus d’une année et je regrette que nous avons des commandes qu’on ne peut honorer faute de main-d’œuvre », nous répond Raza.
Son but avec le temps et quand il aura tout maitrisé : « Moderniser l’atelier avec de nouveaux équipements en provenance de la Chine et une formation offerte là-bas pour savoir le maniement de ces équipements dernier-cri et aussi apporter ma touche personnelle quand je vais prendre le relais de mon papa. »
Raza a un message aux jeunes de son âge : « Ne perdez pas votre temps à attendre un travail au sein de la Fonction publique, il existe tout plein de métiers qui peuvent nourrir son homme. »
Les chaises en plastique : une vraie hantise
Depuis quelques années, il se passe un phénomène à travers le pays : l’avènement des chaises en plastique. De toutes les couleurs et de toutes les formes. Ces chaises sont en provenance de la Chine pour la majorité.
Sont-elles aussi solides que les traditionnelles chaises en tubes et avec un support de plywood et de formica ? À cette question, Mohammad Dowheed met au défi quiconque le démentirait, car pour lui, il n’y a pas photo : « Les chaises en plastique ont une durée de vie déterminée. Les pattes se brisent en s’écartant sous le poids et elles ne sont pas réparables. Elles ne coûtent pas moins cher que les chaises en tubes qui durent des années et des années et qui sont réparables. On peut changer le dossier ou le fussier et tout redevient comme neuf. »
Il se dit déçu qu’avec l’arrivée des chaises en plastique sur le marché, nombreux sont les petits et moyens ateliers, comme le sien, qui disparaissent. « Il n’en reste que trois ou quatre à travers le pays, dont le mien », conclut Mohammad Dowheed Peerbocus.
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